Etre français en Turquie au moment de la polémique concernant le génocide en Arménie
İl y a un mois, lorsque j’annonçais que j’étais française, les yeux de mes camarades turcs s’illuminaient. La tour Eiffel, Edith Piaf, les crêpes ou Thierry Henri, chacun faisait à sa manière l’éloge de l’hexagone. Certains me parlaient avec dégoût des escargots ou des grenouilles, mais tous avaient très envie de visiter Paris et de se promener sur les Champs- Elysées. Au lycée, les jeunes se disaient « je t’aime » en français et me posaient mille questions sur le romantisme. Parfois, on se moquait de l’esprit contestataire des Français : « toujours dans la rue une pancarte à la main » me disait-on ! Mais la conversation finissait toujours par ce même mot : « arkadaş », qui signifie « ami » en turc. Depuis le projet de loi français concernant le « génocide arménien », j’hésite à avouer d’où je viens. Le simple fait de dire « Paris » entraîne de longs débats politiques. Quand je suis dans le restaurant scolaire, même angoisse : le journal télévisé turc ne cesse de repasser les images du parlement français, et mes collègues protestent à chaque fois. Les titres des journaux ne sont pas tendres (« égalité, fraternité, stupidité » m’a beaucoup marquée), et ce n’est rien dire des manifestations au cœur desquelles je me suis déjà retrouvée trois fois par hasard… Pour passer inaperçue et observer les mouvements protestataires en toute tranquillité, j’ai préparé un petite phrase : « Belçicadan geliyorum », qui signifie « je viens de Belgique »… au cas où ! Etre français en Turquie n’est pas chose facile à l’heure actuelle. La France voudrait punir ceux qui nient le génocide, la Turquie ceux qui, au contraire, parlent de génocide. Ma position est bien inconfortable. Heureusement, mes élèves s’intéressent malgré tout à la langue de Molière, et la population turque est toujours aussi accueillante. Tout le monde reste très agréable et les relations d’amitié ne se sont pas ternies. Mais le fromage ou les montagnes du Bugey ont perdu de leur aura : c’est de politique qu’on me parle avant tout !